Houston, nous voyons un Rothko

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Vertige

Alors que Sojourner, Spirit et Opportunity ont cessé de fonctionner, que Curiosity tourne encore, Perseverance vient d’arriver sur Mars et vers 2030, il nous renverra les tubes à essai remplis de ses découvertes. Alors que notre planète se débat contre un virus, ses variants et ses douleurs économiques et sociales, un robot réussir l’exploit de décélérer du haut de ses 20 000 km/h pour se poser sur Jezelero, passant de 1300°c à -100°c, température locale . C’est encore l’hiver sur Mars… Mais nous avons envie de parler d’un peintre spatial, comme un lien entre Mars et Houston : Mark Rothko.

En suspension

Tout dans cette mission Perseverance confine au Rothko : l’ambivalence des sentiments, la force de l’émotion, le vertige du temps, les questions sans réponse sur l’infiniment grand et l’infiniment dérisoire de notre condition. Et surtout, le rouge. Nous n’avons pas encore reçues les photos en couleur et le film de cette amarsissage. Secret défense et temps de réponse un peu lent de la 5G sur place… Mais la seule photo du sol de ce lac supposé, où une vie aurait pu naitre, défie nos représentations. Et fait naitre les larmes. Comme un Rothko.

Mars vue de Perseverancee ressemble à un Rothko

 

Peindre la gravité

Mark Rothko (1903-1970), de son vrai nom Markus Rothkowitz, est né en actuelle Lettonie. Il quitte tout jeune la Russie en proie aux pogroms et deviendra citoyen américain, au nom anglicisé de Rothko. Il étudie à l’université, il est passionné de philosophie et aborde plutôt tardivement le dessin et la peinture. Son oeuvre majeure, ses « rectangles colorés » adviennent dans sa trajectoire à partir des années 50, jusqu’à son suicide désespéré en 1970. C’est la contemplation de l’Atelier rouge de Matisse, acquis par le MOMA de New-York en 1949, qui aurait fait basculer son oeuvre figurative vers ses « rectangles colorés ». Pour lui, Matisse est le premier peintre réalisant des tableaux de surface.

 

Mirage rouge

Tout a été dit et écrit sur les « rectangles colorés » de Rothko. Il a tout réfuté. Ni expérience de couleur, ni expérience de forme, ni abstraction, ni rapport à la religion ou à la méditation… S’il est bien normal de dire ses toiles telles qu’elles sont, des rectangles de couleur, juxtaposés ou superposés, s’il est bien normal de vouloir déceler le geste technique qui sous-tend l’émotion, son oeuvre résiste aux mots. Comme un mirage, elle est toujours plus loin.
Rothko ne voulait pas que l’on voie simplement ses tableaux : il cherchait à créer une expérience de présence qu’exprime son cahier des charges d’accrochage. 

  • Ses tableaux sont grands, verticaux, comme une élévation de l’homme.
  • Ils ne sont pas encadrés, pour garder leur puissance de diffusion. 
  • Ils sont proches du sol, pour mieux envelopper le corps du spectateur.
  • On les pose sur un mur contrastant, d’un blanc dûment choisi.
  • On les rassemble dans une même pièce, concentrés, pour activer leur résonance. 

Dans cette capsule orbitale créée dans les musées qui ont la chance de posséder plusieurs de ses toiles, le visiteur pourra éprouver un rapport au temps, à l’espace et au sens qui semble proche d’un amarsissage…

 

mark Rothko peintre du rouge

Peintre à Houston

C’est drôle non, de savoir que la dernière oeuvre de Rothko, sa chapelle, a été érigée à Houston ? Voulue comme un lieu contemplatif, Rothko en a peint les 14 toiles, nuanciers de noir, comme un assombrissement de la peinture. Et a usé trois architectes, se heurtant à sa vision du lieu, comme une construction environnementale pour ses oeuvres…  Mark Rothko, un peintre spatial à Houston.

une chapelle comme une soucoupe spatiale

Je peins de très vastes tableaux. Je sais que, historiquement, le grand format est utilisé pour peindre quelque chose de très grandiose et pompeux. Pourtant, si je peins ces très vastes tableaux, c’est précisément parce que je veux être intime et humain. Peindre un petit tableau consiste à se mettre en-dehors de l’expérience, à regarder au-dessus d’une expérience avec un stéréoscope ou un verre réducteur. De quelque manière que l’on peigne un grand tableau, on est dedans. Ce n’est pas quelque chose que l’on contrôle. 1951

Mark Rothko

Mark Rothko, 1954, huile sur toile, H 234 cm, Museum Folkwang Essen
 © Kate Rothko-Prizel & Christopher Rothko / VG Bild-Kunst, Bonn 2020
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