Le 5 bis rue de Verneuil aurait pu ouvrir ses portes au public sous le nom de Musée Gainsbourg mardi 2 mars prochain, pour les 30 ans de la mort du chanteur. Evidemment, la peste en a voulu autrement. L’antre de Serge pourrait ouvrir à l’automne. Pas un musée de Serge Gainsbourg peintre, même s’il rêvait de le devenir, mais le musée d’un collectionneur et amateur.
Peintre en chanson
Au-delà de nourrir l’amour fétichiste de ses admirateurs pour son décor intime, le musée doit également mettre en lumière, sur fond de murs noirs, les objets collectionnés par l’artiste, qui dit-on les disposait avec une grande rigueur, les uns répondant aux autres, dans une carte mentale explorée de lui seul.
Un goût de la collection pour combler son échec, cuisant, violent, en peinture. Elève à Montmartre, de Fernand Léger et d’André Lhote, il n’a pas percé. Les quelques toiles épargnées d’un Serge Gainsbourg peintre ne sont connues que de ses proches. Il est devenu peintre en chanson, nourrissant son imaginaire de ses collections. Exactement à l’image d’Andrea Mantegna.
Sculpteur en peinture
Andrea Mantegna (1431-1506) a fait Vinci, il a fait Dürer. Avis néanmoins à McFly et Carlito, il ne suffit pas d’être influenceur un jour pour être influent toujours. Mantegna que l’on considérait comme « le premier peintre du monde » a été supplanté en notoriété par bien d’autres peintres de la Renaissance.
Né à Padoue, il a cultivé dans sa ville natale, auprès de son maître Squarcione, une véritable érudition pour l’Antiquité romaine et grecque, au contact des objets, sculptures, bas reliefs que celui-ci collectionne, en provenance de Venise toute proche.
Destin de sculpteur frustré ? Son œuvre se distingue par la précision avec laquelle il enchâsse dans ses paysages cités romaines, panneaux et colonnes de marbre, avec une triple attention à la perspective, aux détails et aux points de vue totalement innovants pour l’époque. Mais ses effets continuent de frapper l’œil. Jusqu’à le tromper.
On dira de lui qu’il est un sculpteur en peinture.
Saint Sébastien
Mantegna a peint trois Saint Sébastien, parvenus jusqu’à nous. C’est beaucoup, mais il faut dire qu’il protégeait les villes de la peste… On comprend qu’à défaut de stratégie vaccinale performante, on lui ait confié bien des prières à l’époque…
Le Saint Sébastien du Louvre a frappé le jeune Lucien Ginsburg avant qu’il ne devienne Serge Gainsbourg. Il se plantait sous la colonne où souffrait le martyr à chacune de ses visites. Cette toile en effet domine le visiteur de toute sa hauteur, l’œil remontant peu à peu au visage supplicié blessure après blessure, alors que les soldats bourreaux passent indifférents. Aucune flèche, aucune distension de la peau traversée ne nous est épargné. On doit à Mantegna l’invention de la contre-plongée.
Les larmes n’y pourront rien changer
Gainsbourg aimait le Saint Sébastien. Pour sa part Musair est subjugué par la Lamentation sur le Christ mort. Gisant sur le marbre glacé, il nous impose sa rigidité cadavérique et les marques de sa crucifixion à chaque pied, à chaque main. Quand là encore, les visages de la Vierge et des éplorés ne font qu’apparaître en marge de la réalité. Terrible et frappant.