50 jours après Pâques, c’est la fête de Pentecôte (pentêkostề = 50ème en grec ancien). Le 22 mai 1768, alors que les Français se rendaient tranquillement à l’Eglise pour recevoir les mystères du Saint-Esprit, Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) poursuivait sa transat en frégate royale à la découverte des confins terrestres. Et ce dimanche là, La Boudeuse découvrait une île inconnue que l’explorateur nomma Pentecôte.
L’archipel du Vanuatu
Jolie petite escale pour La Boudeuse, dans ce grand Voyage autour du monde commandité par Louis XV. Plongée dans la Mer de Corail, l’île de Pentecôte, et ses voisines l’île Aurore et la bien nommée île des Lépreux, seront bientôt inscrites sur une carte, dans un archipel de 83 îles, les Nouvelles Hébrides (franco-britanniques), devenu archipel du Vanuatu à son indépendance.
Le récit de Bougainville, émouvant, de la découverte -réciproque- de deux humanités… Quelques pages à découvrir ici.
Calendrier de l’igname
Le lundi 23 mai (c’est pas férié), Bougainville accoste sur l’une des trois îles nouvellement conquises par le royaume de France. Il fait connaissance avec des hommes petits, vilains, mal faits qui ne font pas grand cas des étoffes rouges et des clous qu’on leur offre. Les insulaires découvrent eux le premier homme blanc, qui les dérange sans doute dans un jour saint. Aucune notion de calendrier romain évidemment, même pas de calendrier lunaire. Mais sur les îles de l’archipel, on attend la floraison imminente du bois de rose (début juin) qui indiquera que l’on peut planter l’igname. Un peu plus tôt (début avril, à la fin des cyclones), on a cherché et rassemblé les ignames à planter et bientôt va s’accomplir le miracle du saint esprit de la terre… Le Mana.
La résurrection de la chair
Quand certains attendent de renaître au ciel, au Vanuatu le culte de l’igname attend tout de la terre. Avant les hommes, il n’y avait pas de mort. La vie renaissait sans cesse en changeant de peau, comme une mue, un message ancestral que portent toujours les serpents. Puis est arrivé l’homme… Ou plutôt la femme, devenue mère, puis grand-mère, puis morte. Bubu, on l’appelait. C’est son corps enterré loin qui renait et donne vie dans la chair de l’igname. C’est son corps qui nourrit sa descendance et aussi, les orphelins.
Masque de l’ile de Pentecôte, Vanuatu, culte de l’igname. Bois pétrifié, 20ème. Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, RMN Grand Palais.
De chair et de peau
Il est grand le mystère de la foi et on le partage en un culte de l’igname. Avant de planter le tubercule, les hommes vont se partager la terre dans un système complexe de grades. Celui qui veut planter la plus grande terre organisera la plus grande fête publique. On y entendra l’histoire de Bubu et de la renaissance de l’esprit des ancêtres, dites par des hommes cachés par des masques. Les non-initiés ne sauraient voir le visage des morts… Après la fête, on plantera l’igname. Des petites têtes seront coupées au sommet des tubercules, puis creusées, en prenant bien soin de garder la peau qui muera en une nouvelle igname. On plante la tête évidée vers l’est… C’est par là que reviendra la chair des morts qu’on a enterrés à l’ouest. On n’oubliera pas de planter la pierre Mana, la force, quelque part dans le champ. Et si on a la chance de trouver un serpent, on le jetera au milieu du champ comme un engrais vivant.
En décembre
L’igname sauveuse sera déterrée vers décembre. Entre temps, on aura patiemment cultivé le tubercule, enroulé ses tiges sur des roseaux penchés jusqu’à ce que les vrilles de l’un touchent les vrilles de l’autre, comme une communion de tous les ancêtres pour nourrir tous les descendants. Particulièrement les jours de fête, où on le mange grillé… Les très rares masques de l’ile de Pentecôte continuent de raconter le secret de cette terre respectée, source de force, de vie, de communauté. Dans le Vanuatu, le culte de l’igname est toujours vivant, des pratiques à lire dans le récit une nourriture sociale et affective à Mota Lava par Virginie Lanouguère-Bruneau.