Il y a 10 ans, le 23 juillet 2011, Amy Winehouse quittait ce monde. L’étoile filante de la pop, shootée à 4 grammes d’alcool, intégrait le terrible Club des 27 : cette voie lactée où se rejoignent les artistes fauchés à 27 ans tels Jimi Hendrix, Janis Joplin ou Jean-Michel Basquiat. Musair adresse une invitation posthume à Egon Schiele, éliminé de cette short-list pour quelques mois de vie en plus (1890-1918), car d’Amy à Egon, il n’y a qu’un trait.
Le trait
On se souvient d’Amy à la première note… et surtout au premier regard. Un trait d’eye-liner noir comme une seule ligne. C’est ce trait noir qui caractérise aussi au premier coup d’œil les dessins de Schiele. Presque d’un seul geste, il dessine les contours des corps, suivant les mouvements du modèle et parvenant, comme par transparence à exprimer le squelette qui sous-tend les muscles et la peau… Comme Amy, le Black est sa couleur. Il n’use du vert, du bleu et du rouge, à l’aquarelle, à la gouache ou plus rarement à l’huile, que pour rehausser le noir et son sujet.
Le trait, premier des points communs à Amy Winehouse et Egon Schiele. Nude with Blue Stockings, Bending Forward. 1912. Leopold Museum, Vienna. Google Arts and culture.
Le corps
A chaque étape de sa vie, Amy tatouait son corps. Elle ne lui a jamais fichu la paix, entre crises de boulimie, crises d’anorexie, substances illicites. Toute sa vie, Egon Schiele a dessiné des corps. Lieu de vie, lieu de mort, lieu de plaisir, lieu de souffrance. Les corps de Schiele ne sont que l’origine du monde : le sexe. Love is a losing game pour la chanteuse, post coïtum animal triste pour Egon. Après l’amour, la chair est triste, le corps vidé ou alors rempli d’un enfant non désiré à éliminer, et rien n’est satisfait. Que le plaisir soit hétérosexuel, homosexuel ou masturbatoire, pour Schiele, il n’est qu’un bref éclair. Ses dessins montrent les corps décharnés et les sexes sanguinolents. Ils reflètent la misère des faubourgs de Vienne où la prostitution sévit autant que les drogues dures dans le Londres d’Amy Winehouse.
La transgression
Sex, drogue et rock’n’roll : Amy finira plus d’une fois au poste. Egon Schiele, lui, passera carrément par la case prison. A Vienne, faire poser des prostituées passait encore pour de l’art. Quand il s’installe avec sa première compagne, un peu à l’écart de la ville, son atelier rempli de jeunes filles et de jeunes garçons nus dans les positions les plus scabreuses fait scandale. Il est arrêté pour détournement de mineurs et passe plusieurs semaines en détention.
Inspiration et transformation
Schiele est radical. Il réussit brillamment l’entrée aux Beaux-Arts de Vienne et il est très vite adoubé par Gustav Klimt. Il s’inspire des chefs d’œuvre du Belvédère et il voit ce que la Sécession viennoise et les « Sécessions » allemandes, nordiques, françaises produisent de mieux. De son ainé Klimt, il garde l’érotisme, de Munch la pâleur et la criardise parfois, de Degas ou Toulouse-Lautrec, les points de vue en surplomb et les corps désarticulés. Mais Schiele, c’est Schiele et personne d’autre. De même qu’Amy, c’est un peu de Billie Holiday mixée à la Motown, mais ça n’est qu’elle. Immédiatement reconnaissable, inimitable, irremplaçable.
Comme un selfie d’Amy Winehouse, un autoportrait d’Egon Schiele. Self-Portrait with Chinese Lantern Plant. 1912. Leopold Museum, Vienna. Google Arts and culture.
Selfie
Dans leurs recherches respectives, Egon comme Amy s’interrogent sur l’image que le miroir, le pinceau, le public leur renvoient. Egon Schiele s’est représenté dans une centaine d’autoportraits, travaillant son look d’enfant terrible et ses cheveux décoiffés à la Rimbaud. Comme Amy ses yeux de biche trash et sa choucroute à la Bardot. L’un comme l’autre s’inventent un look. Qui marche, qui plaît. Sans doute au point de perdre le reflet de leur vrai moi… C’est à Vienne à la même époque que naît l’inconscient freudien. C’est à Londres qu’Amy se perd d’homme en homme, cherchant dans des bras trop peu aimants le père qui l’a quittée petite…
Poésie
On sait évidemment d’Amy Winehouse qu’elle était auteur et compositeur, pas seulement interprète. Petite, elle était passionnée de poésie, écrivait des haïkus. Devenue adulte, elle a dépeint l’amour, surtout malheureux. Egon Schiele, lui, composait des poèmes sur ses inspirations, rassemblés dans le recueil Je peins la lumière qui vient de tous les corps.
Tears dry on their own.
He walks away
The sun goes down
He takes the day, but I’m grown
An in your way,
In this blue shade
My tears dry on their own.
Une pollution de mon amour.
Oui j’aimais tout. La jeune fille est venue, j’ai trouvé son visage, son inconscient, ses mains d’ouvrière ; j’aimais tout en elle. Il fallait que je la représente à cause de son regard et de sa proximité avec moi. A présent elle est partie. A présent je regarde son corps.
La mort
Amy se fout en l’air le 23 juillet à la vodka. La Rehab, on en était loin… Un impossible amour et la course contre les paparazzis l’ont épuisée. Elle a dit un jour qu’elle n’avait pas d’ambition et que son rêve serait d’avoir un mari, des gosses et juste leur faire à manger. Egon, lui, meurt en 1918. Epargné par la guerre, il est fauché par la grippe espagnole quelques jours après son épouse, emportée elle-aussi par le Covid avec leur bébé à venir.… Our Day Will Come n’était pas écrit pour eux.