Musair reprend le fil de ses News en cette fin d’été… Chercher dans l’art l’inspiration et le ressourcement pour survivre à l’actualité est bien difficile au lendemain d’un double attentat suicide. Que dire quand le geste de deux hommes anéantit l’effort de protection de plusieurs milliers de soldats, l’espoir de départ de milliers d’Afghans et expatriés et ôte la vie à 13 militaires et plus de 100 civils ? Que dire ?
Douleur me bat
Il y a 500 ans jour pour jour disparaissait à Condé sur l’Escaut, près de Valenciennes, Josquin Desprez (ou poétiquement Josquin des Prés). La musique lui doit la sublimation de la polyphonie. Musair dira plus simplement qu’on lui doit l’art de porter ensemble à plusieurs voix un même chant. Et chanter à plusieurs, ensemble homme et femme, est un fruit de l’Humanisme et de la Renaissance qui n’est pas, partout, une évidence.
Douleur me bat et tristesse m’afolle,
Amour me nuyt et malheur me consolle,
Vouloir me suit, mais aider ne me peult,
Jouyr ne puis d’un grant bien qu’on me veult,
De vivre ainsi, pour dieu, qu’on me décolle.
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Josquin Desprez apporte à la polyphonie l’influence de chansons, leur mélodie ou leurs mots comme ici Douleur me bat, chanson qui devient aussi la base d’une messe. Par l’ensemble Clément Jannequin, dirigé par Dominique Visse.
Confluence
Josquin Desprez (1450-1521) prend la direction musicale de la Collégiale Notre Dame de Condé en 1504, jusqu’à la fin de sa vie à près de 70 ans. Ce sera l’étape la plus longue sur son chemin de musique. Il apprend le chant et l’écriture à Saint-Quentin puis à Cambrai, alors haut lieu de la musique où rayonne le compositeur Guillaume Dufay. Son talent le mène ensuite de cour en cour, des Ducs de Bourgogne aux rois de France et seigneurs d’Italie. Peut-être même en Hongrie et en Espagne, sonorisant moult chapelles. Voyageur, il accumule les influences et en réussira la magnifique synthèse tout au long de son œuvre. Notamment, Josquin marie le profane et le sacré : les chansons populaires inspirent ses oeuvres, dont il emprunte les lignes mélodiques ou les paroles pour les chants religieux. Ce sont les messes parodiques ou messes paraphrases, totalement admises à l’époque.
Six voix
Si la polyphonie existe déjà, rompant peu à peu avec la monodie du plein chant (chant grégorien à l’unisson), les compositeurs d’alors écrivent alors pour trois voix, rarement quatre. Josse bâtit lui des cathédrales musicales à cinq et six voix, portées par la voix humaine ou l’instrument. C’est cet exploit, de contrepoint mélodique et d’harmonie des accords, qui pose les bases de la musique jusqu’aux symphonies à soixante portées qui suivront au fil des siècles. Outre la décomposition d’une ligne mélodique en plusieurs voix, il développe des constructions jamais atteintes avant lui, de canons, d’entrées similaires ou d’enchainement des voix, qui révolutionnent le chant.
Dans le livre de choeur d’Anne de Boleyn, des oeuvres en polyphonie de Josquin Desprez. Chaque enluminure correspond à une voix. Les deux autres en vis à vis. Royal College of Music, v 1530.
Naissance de l’art
Surtout, Josquin met la musique au service d’une émotion, d’un ressenti : la déploration, la gratitude, voire l’amusement pour les chansons profanes, lestes ou satiriques. La prononciation du texte n’est pas assujettie aux notes, mais bien l’inverse. De discipline mathématique, de déclamation rituelle, la musique devient un art de l’expression et de l’effet.
« Il maîtrisait les notes quand les notes maîtrisaient les autres », c’est l’hommage que Martin Luther rendra au compositeur qui met la mélodie au service du texte.
T’as pas la partoche ?
Josquin Desprez compose au siècle de l’imprimerie. Sa notoriété est telle que les imprimeurs posent son nom sur des œuvres anonymes qui connaissent aussitôt le succès. Surtout, Josquin est le premier compositeur dont les œuvres ont été éditées à titre posthume, le premier compositeur à qui le monde a rendu hommage… Jusqu’à ce jour anniversaire.