Deineka : la peinture est un sport de combats

L'art et l'actu

On arrête tout. Ce soir il y a foot.

Les fidèles d’entre les fidèles savent que Musair a un faible pour la peinture du sport… Et sans doute, si nous n’étions pas en guerre et dans ces derniers jours qui nous séparent de l’armistice, nous serions en tribune ce soir. Mais pour soutenir qui ???

Aux Armes !

Le derby Losc-RCLens, qui se déroule au stade Bollaert à huis-clos,  revêt une importance inédite cette année. En plus de s’affronter pour obtenir la suprématie régionale, les deux clubs sont chacun en quête de leur propre graal. Lille se bat pour la place de champion de France 2021, Lens pour une qualification en coupe d’Europe. C’est la lutte finale. Deux hommes vont être décisifs ce soir : Mike Maignan, le portier des Dogues, convoité par les plus grands clubs européens et Jean-Louis Leca le gardien expérimenté du RCLens.

gardien de but football

Alexandre Deïneka – Goalkeeper – 1934 – New Tretyakov – Moscou

Quel peintre pour commenter le match ?

Nicolas de Stael à qui nous avions déjà rendu un vibrant clapping, ne nous semble pas à la hauteur des enjeux de la soirée. Nous allons chercher plus à l’est, là où on n’a jamais rigolé avec le sport : Alexandre Alexandrovitch Deïneka (1899-1969)

On revoit le ralenti

Cet instant magique de la main qui arrêtera ou du ballon qui franchira, c’est l’instant des héros. Ici, à la place où nous positionne Deïneka, on imagine facilement que c’est le goal qu’on portera en triomphe pour avoir fait barrage au ballon. En 1934, Deïneka est un peintre officiel pleinement reconnu, engagé depuis les années 20 dans la révolution et le projet politique soviétiques. Son talent s’engage dans des toiles monumentales et dans des affiches de propagande : c’est le réalisme socialiste.

Le corps combattant

Athlétiques, souvent nus, les hommes et les femmes de Deïneka offrent leur corps au politique. Le sport est l’un des piliers de la société socialiste, où l’hygiène et l’exercice corporel fournissent au mouvement révolutionnaire des forces en pleine santé. D’abord exclusivement sport-co, le régime consentira d’énormes moyens pour mettre le peuple au pas de marche et au pas de course. Après plusieurs décennies de résultats solides en équipe, la Russie soutiendra des joueurs et des joueuses investis dans des sports individuels, avec la notoriété qu’on leur connait. Le projet s’insinue partout, jusqu’aux camps de redressement par le travail où s’organisent des tournois de foot avec un public (prisonnier) soutenus en musique et en paroles par des orchestres (prisonniers). On y apprend des chants de supporters, comme celui écrit  par le poète Vassili Lébédev-Koumatch à l’attention du goal (1937) :

Prépare-toi à la bataille

Tu es une sentinelle devant tes buts

Imagine que c’est la frontière d’État

qui est tracée derrière ton dos.

L’international

Cette rigueur dans la préparation sportive s’exporte bien : l’Internationale socialiste organise en marge des grandes compétitions des congrès qui influent grandement sur l’organisation du sport en Europe. Dans les années 30, les mouvements sportifs communistes défient les patronages catholiques sur les terres françaises. Le club de sport est le terreau du collectif et des idées.

bataille de Sébastopol

Autres combats

Cette créativité artistique au service du sport, Deïneka et Lébédev l’ont déployée avec le même engagement sur d’autres terrains. Quelques années plus tard, l’Union soviétique emmène au front ses jeunes troupes musclées de l’Armée rouge et paiera, dans la deuxième guerre mondiale, l’incommensurable tribut de 20 milllions de morts.

De cette période, Deïneka a immortalisé la  vaine et héroique résistance de la ville de Sébastopol sur le front de la Mer Noire de 1941 à 1942. Il peint cette toile symbolique, à la vue des photos effroyables du port piloné. Au même moment, Lébédev écrit son célèbre chant patriotique Que la noble fureur se déchaine… Il y a combat. Et combat. Que les supporters ne s’y trompent pas.