Sandrine Rousseau, Frans Snyders et le sanglier hideux

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Ce week-end, avec l’ouverture de la chasse dans le Cher, l’Eure et Loir, la Manche et la Sarthe, tous les chasseurs français peuvent renfiler leurs bottes et leur carnier. Un week-end qui coïncide aussi avec le deuxième tour de la primaire écologiste et la consultation sur les chasses traditionnelles. Une même nature, plusieurs façons de l’aimer. Pour débattre avec Sandrine Rousseau, Musair ouvre sa News à un grand chasseur : Frans Snyders. Maitre de la Guilde d’Anvers et, on le sait trop peu, grand maitre de la Confrérie de la Hure.

Une bête hideuse

Selon une étude dont Musair a le secret, de tous les peintres ever, le flamand Snyders (1579-1657) est recordman du portrait de sangliers. Notre très sérieuse estimation est fondée sur les œuvres numérisées, elle demanderait une exploration du fin fond des réserves des grands musées. Car il est une réalité dont on parle trop peu, c’est celle du faible nombre d’expositions de sangliers. Il faut dire que l’animal est franchement moche. Halte-là, amis verts ! Ce n’est pas Musair qui le dit, c’est Molière.

J’ai donc à vous dire, Madame, que la princesse votre mère passait presque seule dans la forêt, par ces petites routes qui sont si agréables, lorsqu’un sanglier hideux (ces vilains sangliers-là font toujours du désordre, et l’on devrait les bannir des forêts bien policées), lors, dis-je, qu’un sanglier hideux, poussé je crois par des chasseurs, est venu traverser la route où nous étions. Je devrais vous faire peut-être, pour orner mon récit, une description étendue du sanglier dont je parle, mais vous vous en passerez s’il vous plaît, et je me contenterai de vous dire que c’était un fort vilain animal.

Les Amants magnifiques. 1682.

Donc, les sangliers, bêtes fort vilaines, n’ont guère retenu l’attention des peintres, mais pour une raison pas totalement éclaircie, Snyders s’y est beaucoup intéressé dans ses près de 800 œuvres.

scène de chasse en meute
Chasse au sanglier, Frans Snyders, vers 1650. Art Gallery of New Sousth Wales Sydney

Chasser en meute

Face à un cochon (c’est comme ça qu’on dit quand on est chasseur), l’homme ne fait pas le poids. Avant l’arrivée de la carabine, les Nemrods et les Dianes ont plus d’une fois rompu leurs lances avant de maitriser la bête. Un cochon au tableau, c’était une prouesse collective et le fruit d’un âpre combat. L’intelligence du sanglier contre la tactique de la battue et le courage de la meute. Dans ses scènes de chasse, Snyders rend aux uns et aux autres l’hommage du pinceau. Il magnifie l’instinct de la chasse comme l’instinct sauvage. Le frémissement du chien qui repère sa proie, c’est aussi la nature.

Nature morte et hure de sanglier
Nature morte au rafraîchissoir. Avec une bonne bouteille, une bonne hure de sanglier, par Frans Snyders. 1610-20. Fondation Banque Santander Madrid.

Cochonaille

Néanmoins Snyders, qui n’avait pas lu les Contes de la Bécasse ni fredonné Delpech, n’était pas uniquement animé par la poésie des lisières au petit jour. C’est même un tout autre motif qu’il s’est plu à répéter en peinture. La nature morte, ou petit banquet, que notre bon vivant de peintre compose avec un raffinement extrême. Au-delà des symboles catholiques du tableau, tout est bon dans le cochon et donc dans le sanglier aussi. La hure (toute la tête, et pas que le museau) ça se mange et du moment qu’on ne sait pas trop ce qu’il y a dedans, c’est même très bon. Snyders, maîtrise l’art des terrines et des sympathiques banquets et il a embarqué bien des artistes anversois dans ses ripailles d’après chasse : Van Dyck auteur de son célèbre portrait, De Vos son beau-frère et l’immense Rubens.

Rubens, scène de chasse au sanglier
Frans Snyders a t il peint ce sanglier grec ? Le sanglier de Calydon est une oeuvre de son ami Rubens. 1611-1612. Getty Museum.

Passion sanglier

Les scènes de chasse et de tables plaisent à tout le monde à l’époque. Snyders en tire une grande réputation mais il n’aura pas à proprement parler d’atelier. A l’enseignement de maitre à élève, il préfère les parties de peinture entre pairs et il collabore fréquemment avec Rubens. Pour les toiles du Prince de la peinture, Snyders exécute des animaux, cygnes, aigles, sa passion. On a peine à imaginer comment l’un et l’autre ont pu s’accorder. Snyders fut même l’exécuteur testamentaire de Rubens. Le peintre des femmes en chair, nues, tourbillonnantes ; le peintre des animaux, souvent un peu figés dans la gelée, il faut le reconnaître. Et c’est bien ce fameux sanglier qui a réuni les deux hommes.

Venus et Adonis
Vénus pleurant Adonis, tué par un sanglier. Un Rubens auquel Snyders a peut être contribué. The Israel Museum Jurusalem. 1615.

Adonis en commun

Vénus(Aphrodite) pleurant Adonis est un thème cher à Rubens. Adonis est un dieu de toute beauté, qui vit en trouple avec Aphrodite et Perséphone. Aphrodite subissant elle-même le harcèlement d’Arès et d’Apollon, dans une Olympie très patriarco-centrée. Bref, quelqu’un (Perséphone la jalouse, Arès ou Apollon) balance un sanglier sur Adonis. Qui meurt d’affreuses blessures et laisse Vénus inconsolable. Beauté de la triste histoire, une larme de Vénus dans le sang d’Adonis transpercé fit pousser une fleur : l’Adonis d’automne.

La fin radicale de l’histoire

L’Adonis d’automne est une Renonculacée menacée. Chez les chasseurs et les jardiniers des grands domaines, on pense que ce serait dommage qu’elle soit éradiquée par les hardes de sangliers.

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Bon débat à tous ! Et bon appétit bien-sûr…

Sandrine Rousseau – Joël Saget – AFP
Portrait de Frans Snyders par Anthony Van Dyck – 1620 – The Frick Collection New York – Wikimedia commons