Musair avoue avoir affiché un sourire goguenard en entendant cette semaine la proposition de Loic Dombreval, député LREM. Et si on associait les vétérinaires à la campagne vaccinale anti Covid ? Ben oui ! Tant qu’à ne pas avoir assez de vaccins à répartir entre les médecins de ville, autant les partager avec les vétos et les botoxeurs et les tatoueurs. Tous métiers à base d’aiguilles. Quel mauvais esprit que le mien… Mais vite, je me suis ressaisie. Puisque cette idée créative ne venait pas d’un stagiaire de 3ème en observation à la cellule Stratégie vaccinale du Ministère de la Santé, mais d’un député sans doute plein de bonne volonté, elle devait avoir des fondements artistiques solides. Sans doute ancrés dans l’analyse de la toile de Jules Adler « la transfusion du sang de chèvre ».
Transfuser du sang de chèvre
Ce tableau, que l’on a pu admirer à hauteur de champ opératoire dans l’exposition que le MAHJ a consacrée au peintre en 2019, est spectaculaire. On y voit en effet une jeune femme livide recevoir le sang d’une chèvre, pas en grande forme non plus. Il a fait l’objet de quelques articles supposément spécialistes mais désastreux. Nia nia les conditions d’hygiène, nia nia la stupidité de l’acte médical et nia nia la souffrance des jeunes opérées. La pauvre chèvre surtout… sacrifiée sur l’autel de l’erreur médicale.
Erreur d’analyse
« Ah qu’ils étaient bêtes, machos et méchants »…. Musair se réjouit rarement d’analyses simplistes et a mené une brève mais sérieuse enquête. Qu’est-ce qui aurait justifié que Jules Adler (1865-1952) immortalise une transfusion de sang de chèvre à la malade en quasi 2 mètres par 3 en 1892 ? Les transfusions animal/homme étaient identifiées comme dangereuses, voire impossibles, depuis deux siècles déjà. C’est en effet ce tableau (et non pas la très célèbre Grève au Creusot de 1899) qui a valu à Jules Adler un premier prix du Salon et un début de carrière fulgurant. Loin de critiquer une médecine hasardeuse et expérimentale dont les populations paupérisées seraient les victimes, le peintre social met au contraire en valeur l’audace des médecins.
En guerre contre la tuberculose
La tuberculose détruit les poumons. Elle est alors la cause d’1 décès sur 7 en Europe, la phtisie décime. Elle fait son lit de l’habitat insalubre, de la pauvreté, des conditions de travail harassantes. Le bacille ne fait pas grand cas de l’âge non plus, s’attaquant aux vieilles, aux vieux et aux enfants aussi. Dans les années 1880/1890, face au fléau, des médecins réinterrogent les fondements de leur pratique pour tenter de gagner la course maladie/vaccin. Rappelons que Pasteur vaccinera contre la rage à partir de 1885. Calmette (médecin bactériologiste) et Guérin (vétérinaire et biologiste) ne mettront leur vaccin bilié au point qu’en 1921 : le BCG.
Pauvres bêtes
En 1890, on transfuse les animaux à tour de pattes. Les chiens, les lapins, les vaches, les grenouilles et les chèvres. On regarde comment chacun transporte le bacille de Koch (du nom de son découvreur en 1882) et se débat face à la bactérie tueuse. En l’occurrence, les chèvres sont réfractaires à la tuberculose spontanée ou inoculée. Rien de rien. Et des lapins transfusés de sang de chèvre semblent développer une meilleure immunité s’ils sont sains et une meilleure résistance s’ils sont infectés. C’est la raison pour laquelle des médecins de toute la France comme le Dr Samuel Bernheim, immortalisé par Jules Adler, ou Bertin et Picq tentent le pari de sauver des hommes et des femmes en pratiquant la transfusion de sang de chèvre ou de sérum, en injection sous cutanée, en intramusculaire ou en intraveineuse. Ils cherchent un traitement et un vaccin, non obstant leur parfaite connaissance des incompatibilités sanguines entre homme et animal.
Doux comme un agneau
En France, la transfusion entre espèces avait été tentée au XVIIè. C’est souvent l’innocent agneau ou le veau placide qui offraient « leur humeur » aux agités et aux dépressifs. Au mieux leur pathologie restait stable, au pire ils mourraient. La transfusion a donc été proscrite. Mais dans le reste de l’Europe, on a continué de la tenter, notamment pour sauver les femmes en couches et les hommes au combat. Cette toile n’est donc pas le souvenir d’une boucherie mais celui d’un moment où, perdu pour perdu, des hommes en guerre ont pris le risque de faire progresser la science. Ici, le ratio risque sur bénéfice a clairement basculé du côté de la préservation des chevrettes…
En voilà une idée qu’elle est bonne !
A bien y considérer donc, la vaccination vétérinaire en zone rurale, là où il y peut être plus de véto par vache que de médecin de famille par habitant, c’est peut-être une bonne idée à tenter. Vraiment, vraiment à lire : le passionnant rapport d’expérience de Bertin et Picq
Merci aux professionnels de la profession pour leur indulgence, on n’est pas The Lancet.