Qu’est ce qui fait marcher Rembrandt ?

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Qu’est ce qui fait marcher Tapie ? Mais qu’est ce qui fait marcher Tapie ? J’ai encore la petite phrase de la pub Wonder dans la tête et je ne vous cache pas que petite, j’étais très réceptive au charme de Ken Tapie bousculant Barbie secrétaire. Ce qui a fait marcher Tapie, c’est exactement ce qui a fait marcher Rembrandt. Se créer comme une œuvre. L’homme aux mille vies, enterré aujourd’hui, et l’homme au cent autoportraits partagent plus d’un point commun.

L’image de soi

Etre soi et créer une image de soi sont deux chemins de pensée et d’action qui ne se rejoignent pas forcément. L’homme à la Wonder n’a cessé de surprendre par la multiciplité de ses champs d’action et de communication, sans pourtant révéler l’intime. Jusqu’à ses funérailles, il construit, tient et préserve son image, tels les autoportraits de Rembrandt (1606-1669). Le philosophe Paul Ricoeur dit qu’il ne faut pas s’y tromper. Quand on regarde un autoportrait de Rembrandt -on en connaît plus de 100, un record-, on ne voit pas l’homme Rembrandt.

Celui qui l’a peint n’est pas le même. On ne doit pas oublier dans la contemplation un intermédiaire aboli : le miroir. Le peintre se voit et peint ce qu’il voit. Il y a donc 3 visages : le visage de celui qui peint, qui ne se voit pas, le visage reflété dans un miroir, qui disparait, le visage peint enfin qui nous est offert.

autoportrait de jeunesse
Le premier autoportrait de Rembrandt connu (Rijksmuseum Amsterdam), en haut de cette page, date de 1628. Il a 21 ou 22 ans. Celui-ci date de 1630. National museum Stockholm. Les chapeaux deviendront une manière de créer son personnage et interroger son apparence.

A l’église Saint Germain des Prés, sur la pelouse du Stade Vélodrome et dans la cathédrale La Major, nous contemplons le dernier autoportrait d’un homme attaché à l’expression de l’image qu’il a construit. Proche des Français, combattant, vivant jusque dans la mort. Un cercueil sur une pelouse de stade pour accueillir des supporters éplorés, ça ne se fait pas ? Aux âmes chagrines, il serait bien capable de répondre « Je vous emmerde ».

Dans la santé et dans la maladie

Dans chaque autoportrait de Rembrandt, nous assistons également à un face à face sans concession avec la vérité de la vie. Loin des portraits idéalisés qui fleurissent en Italie et en France à la même époque, Rembrandt examine dans sa peinture la vie au fil du temps. Du beau visage juvénile à la trogne de vieillard, Rembrandt assume les contingences de la chair, et la vérité de la disparition pas à pas vers la mort. Celui qui a peur de la mort ne vit pas, disait Tapie malade. Comme lui, Rembrandt brûle la toile par les deux bouts.

L’âge est retrait marche après marche hors de la phénoménalité.
Goethe, Rembrandt le penseur.

Tapie donne la maladie à voir, comme une invitation au courage pour tous les malades et exprime la philosophie des autoportraits de Rembrandt.

ll y a visage si la vue m’est rendue. Le visage est le vu voyant ou le voyant vu. Aucun visage ne peut se réduire à une vue unilatérale. Sans regardeur, point de visage.
Michel Guérin, Rembrandt se tire le portrait, sur France Culture.

Business men

Ajoutons pour parachever la comparaison que Rembrandt ne doit rien à Tapie, côté Affaires. Rembrandt, à Amsterdam, est un peintre indépendant. Farouchement opposé « au système », il ne s’inscrit pas à la Guilde des peintres qui régit les relations commerciales et définit notamment la valeur des œuvres de ses affiliés, au temps passé. Il ne cherche pas non plus à s’inféoder à un mécène protecteur. Rembrandt « sent » le marché. A Amsterdam, le Calvinisme protestant a vidé les Églises de leurs décorations. Le goût de la peinture se déplace dans les maisons. La clientèle bourgeoise est demandeuse de petites scènes historiques, religieuses et de portraits. Rembrandt peint pour eux et embauche des jeunes à qui il donne leur chance de faire du Rembrandt, dans un vaste atelier puis au grenier de sa demeure. Surtout, Rembrandt comprend l’importance du rôle de la gravure dans la diffusion de ses œuvres. Il grave des séries limitées et spécule sur leur valeur, rachetant lui-même des éditions pour en faire monter le prix. Il a d’autant plus intérêt à faire monter sa cote qu’il paie souvent ses créanciers en tableaux…

autoportrait avec Saskia
Autoportrait de Rembrandt et de la vie célébrée, avec Saskia. 1635. Dresde.

Jusqu’à la ruine

Des créanciers, Rembrandt en a, car le peintre profite de la vie. Il aime la fête, le vin, les œuvres d’art, son épouse Saskia et finit par crouler sous les dettes. En 1656, il est déclaré insolvable. Sa maison et l’ensemble de ses biens sont saisis et vendus aux enchères, en 343 lots, deux ans plus tard. La marque Rembrandt est reprise par sa troisième compagne Hendrickje et son fils Titus, qui se chargent de l’écoulement de ses œuvres pour renflouer le maître. L’année même de son humiliation, Rembrandt s’autoportraitise en costume de toute noblesse. Rien ne le soumet. Tant qu’il n’est pas mort, il est vivant. Combattant. Svetlana Alpers, une de ses plus grandes historiennes, dit que « Rembrandt était un entrepreneur du moi ». Bernard Tapie n’aurait pas dit mieux.

Autoportrait dans la ruine
Ruiné en 1656, ses biens dilapidés en 1658, Rembrandt se peint dans l’opulence. Frick Collection New York.

Dans la peine qui m’a été infligée, c’était bien ma mort politique, médiatique et sociale qui était recherchée. Eh bien, c’est perdu ! Tant pis. Je vis.
Bernard Tapie

400 ans après sa disparition, le regard de Rembrandt sur lui-même ne cesse de nous rappeler que le temps passe certes, mais que les grands artistes ont le pouvoir de le dominer. Moi, je continue de croire à Rembrandt et aux 40% de durée de vie alcaline en plus. Bravo le boss.

Autoportrait de Rembrandt
Autoportrait au chevalet. Rembrandt. 1660. Musée du Louvre.
Les funérailles de Bernard Tapie ont été organisées dans la Cité phocéenne. Phocée quoi ? Retrouvez notre News vérité sur Puvis de Chavannes -P2C- et les décors de Marseille. ICI.