Les journalistes sur le pont ce week-end ont ressorti leurs notes du samedi 1er août 1936, date à laquelle est probablement né le premier reportage sur le chassé-croisé entre juillettistes et aoutiens. Bouchons sur la route, enfants à distraire à l’arrière, pénurie de jambon beurre au poste d’essence, rien n’a changé depuis. L’ORTF diffuse les mêmes images avec un sens du recyclage des bobines qui devrait ravir le ministère de l’écologie des médias.
La route du bonheur
La route des vacances est pavée d’exaspérations et pourtant, nous continuons de nous y engouffrer. Comme si les images noires du bitume surchauffé s’effaçaient pour ne laisser à nos mémoires que les seules images blanches du bonheur : les images de Sorolla. La peinture de Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923) est lumineuse. Même luministe dit-on. Baignées de vent, de sel, de sable, d’eau, les toiles de Sorolla, peintre de la lumière, nous plongent instantanément en été.
Le John Singer Sargent espagnol
Ce grand peintre, né à Valence, a fait carrière dans toute l’Europe et à New York. Tel son contemporain Singer Sargent, son talent de portraitiste et son œil scrutateur de scènes pittoresques de villages et de ports espagnols le portent d’une capitale à l’autre. Il expose plusieurs fois au Salon à Paris dans les années 1890, jusqu’à la consécration d’une médaille d’honneur à l’exposition universelle 1900. Il reçoit même la Légion d’Honneur, mais la France l’a oublié depuis. La peinture de genre qui fit son succès d’alors s’est peut-être banalisée, alors que son œuvre intime et ses recherches esthétiques conservent une spontanéité, une fraicheur, un bonheur intenses.
Après le bain, une oeuvre de 1915. Sorolla, peintre de la lumière, éblouit les visages, éclabousse de blanc. Museo Sorolla Madrid, sur Google arts and culture.
Album de famille
Sorolla a perdu très jeune ses deux parents, emportés par le choléra. Est-ce ce drame qui le porte à savourer chaque instant passé auprès de son épouse et ses enfants ? En tous cas l’été, il mémorise, croque, esquisse, garde « en boite » les images du bonheur.
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- Avec spontanéité : le visage ébloui, la main ou le bras qui protège les yeux d’un soleil trop vif. Il garde la vérité de la mimique et du geste. De même qu’allongé sur le sable, il n’hésite pas à faire pencher l’horizon dans des toiles en contre-plongée étonnamment modernes.
- Avec fraicheur : les enfants contrariés par un bout de coquillage coincé dans la plante de pied ou barbotant dans trois centimètres d’eau comme en plein océan… Un quotidien d’été à portée de n’importe quel bout de plage ou de bassine d’eau. Juste la vie.
- Avec joie : le bonheur d’observer et de ressentir. On sent dans la peinture intime de Sorolla l’immense plaisir de contempler un instant fugace et d’avoir la capacité à le retranscrire. Peintre de plein air, non seulement il saisit les visages et les corps de ses proches, mais aussi le mouvement des éléments.
Fichu coquillage qui pique le pied, un petit malheur capté sur le vif et retranscrit sur la toile par Sorolla. 1909. Getty Museum.
Je ne pourrais pas du tout peindre si je devais peindre lentement. Chaque effet est si passager, il faut le peindre rapidement.
Du vent dans les voiles
Au-delà de la vivacité de sa peinture, Sorolla se distingue par deux qualités uniques. Du pli d’une robe à l’écume des vagues, il peint toutes les nuances du blanc. Et surtout, il devient chasseur de vent. Il a dessiné des centaines d’esquisse de vent engouffré dans les voiles, de vent soufflant les ombrelles, les chapeaux, les draps de bain et les jupes. A observer son œuvre, on se souvient des raisons qui nous poussent sur les routes et dans les bouchons : nous allons remettre du vent dans nos voiles, passer de bons moments seul, à deux ou en famille, ramasser sur la plage les images du bonheur. Bel été à tous.